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OBVISION

Mathieu Lehanneur - Moving borders: Living, Sleeping, Creating

Pour notre recherche sur le sommeil, nous avons eu le privilège d'entendre Mathieu Lehanneur, une figure emblématique du design français. Dans cet entretien, il partage sa vision des frontières du design et évoque tout particulièrement son intérêt pour le sujet du sommeil.



Dans le domaine du design contemporain, Mathieu Lehanneur est l'un des rares designers de sa génération à posséder des compétences créatives interdisciplinaires. Sa pratique du design s'étend de la conception de produits industriels à l'architecture, de l'artisanat traditionnel aux nouvelles technologies. Ses œuvres font partie des collections permanentes du Museum of Modern Art (MOMA) de New York, du Centre Pompidou à Paris, et du Louvre Abu Dhabi aux Émirats arabes unis. En 2015, il a été nommé designer en chef chez Huawei.


Lehanneur s'efforce d'inspirer et de promouvoir le bien-être à travers ses projets, tout en remettant en question les descriptions traditionnelles du design, de la science et de l'art. Le sommeil occupe une place particulière dans son travail : d'une part, il a directement abordé des problématiques liées au sommeil dans plusieurs de ses projets, tels que la Suite N°4 en collaboration avec Renault, Tomorrow is another day conçue pour l'hôpital Diaconesses, et Once upon a dream en collaboration avec la Maison Veuve Clicquot, entre autres. D'autre part, le sommeil et les rêves ont également une influence particulière sur son inspiration. En mars 2022, nous avons eu le privilège de l'interviewer, explorant ainsi le monde du sommeil profond, des rêves et de l'inconscient.





Obvision:Bonne nuit Mathieu Lehanneur. Vous êtes un designer inspirant et inspiré, qui a trouvé dans les contours flous du design son terrain de jeu et qui - par la création d’un paysage d’objets, d’espaces ou encore d'œuvres invite à un voyage entre technologie et artisanat, entre rigueur scientifique et liberté artistique afin de nourrir notre imaginaire.


Lehanneur: Ça me va comme définition.


O:Avec votre dernière collaboration avec Renault, la Suite N°4, vous invitez à la fois au voyage et à la rêverie. Quelle est l’inspiration de votre interprétation de la 4L?


L: Il y a deux choses : la première chose c'est l'état de la voiture aujourd'hui. C'est-à-dire que très longtemps la voiture avait pour seul objectif de vous emmener d'un point A à un point B et peu importe finalement ce qui se passait entre ces deux points, il fallait qu’on arrive le plus vite possible, qu'on soit un peu confortable. Aujourd'hui les choses ont évidemment un peu changé et finalement on se rend compte que le point A et le point B sont devenus presque moins importants que l’entre-deux. L'idée de cette voiture c'était de repenser cet entre-deux et de voir si la voiture peut pas être elle-même déjà la destination. Nous avons essayé de se libérer d'un côté des questions de de performance d'un côté de signes extérieurs de statut. Finalement c'est une voiture qui n'est pas presque plus intéressante à l'arrêt qu’en déplacements. Les publicités vous montrent toujours les voitures en train d'avancer, c'est évidemment la définition même de la voiture - mais encore une fois - le monde a un peu changé et si son principal intérêt c’était de s'arrêter quand elle veut. C’est le rêve de notre génération par rapport à la génération qui a vu naître la 4L .C'était une grande époque de liberté : on pouvait s'arrêter où on voulait, on pouvait dormir on voulait et faire l'amour avec qui on voulait, embrasser qui on voulait sans masque...


L’inspiration c'est finalement d’essayer de libérer complètement la voiture de ce qui en fait un organe de déplacement et de commencer à la transformer en une voiture qui est elle-même une architecture en enlevant tout ce qu'on pouvait enlever. Nous avons ensuite remplacé tout ce qu'on enlevait par par des choses qui allait se nourrir de l'architecture à savoir la transparence, à savoir les structures visibles, à savoir la capacité de pouvoir s'y asseoir comme on veut et de pouvoir dormir, de pouvoir et faire l'amour, de pouvoir boire un verre, inviter des amis... donc évidemment tout ça de façon nécessairement radical contraint par un espace très réduit.



O:Gaston Bachelard disait dans La poétique de l'espace : « Logé partout, mais enfermé nulle part, telle est la devise du rêveur de demeures. Il faut toujours laisser ouverte une rêverie de l'ailleurs. »


L: Ça aurait été bien que vous me donniez cette belle phrase avant que je fasse le lancement de la voiture ça m'aurait beaucoup facilité des choses.



O:S'échapper de l’ordinaire et offrir une nouvelle expérience pour découvrir le monde. C’est un sujet qui parle à beaucoup de gens, surtout pendant le confinement. Comment la pandémie a-t-elle eu une influence sur votre pratique, ou sur comment vous apercevez votre rôle de designer ?


L: Moi je ne suis pas très à l'aise avec l'idée de se dire “sortir de l'ordinaire”. C'était peut-être finalement une vision qu'on pouvait avoir peut-être avant la pandémie et encore plus il y a quelques années. C'est-à-dire que j'ai un ordinaire et - comme son nom l'indique - j'accepte une vie qui soit relativement routinier, ennuyeux, terne et gris et puis je vais me donner des zones d'extraordinaire qui vont être le vendredi soir, qui vont être pendant les vacances scolaires, qui vont être des moments très spéciaux. C’est donc une espèce de on/off. Le off serait l'ordinaire et qui prendra beaucoup de place et puis on va essayer d'injecter un peu d'extraordinaire là-dedans. Peut-être la voiture, la suite numéro 4 en est un exemple de se dire : faisons en sorte que l'ordinaire soit suffisant mais d’y injecter davantage de flexibilité. Une chose constante dans mon travail c'est de ramener de la flexibilité, ramener de la plasticité et ça veut dire de jouer avec les limites et les frontières telles qu'elles ont été inculquées ou imposées ou transmises.. C’est de pas accepter la géométrie de la boîte de l’ordinaire. Sans ou avec la pandémie, on reconnaît effectivement des limites, on reconnaît qu’il y a des frontières mais continuellement on les éprouve.



O:Vous questionnez le quotidien et l'entourage pour pousser des points qui les encadrent ?


L: C'est bien ça. Ça se passe parce qu'on se rend compte que dans le monde même, dans le monde créatif peut-être encore plus, que les personnes même on tendance à se construire la propres limites parce que évidemment c'est rassurant parce que la frontière et rassurante parce que là parce que définir son espace vital et paradoxalement à la fois rassurant et absolument effrayant. Donc l'idée n'est pas de se dire que tout ça n'existe plus et il n'y a plus aucune limite à rien ce qui serait absolument absurde : les frontières existent, mais passons notre temps à les éprouver. Les enfants font exactement ça lorsqu'ils arrivent dans le monde : les limites ne sont pas définies, ni sociales, ni physiques et ils n'ont même pas vraiment conscience de là où commence et où finit leur corps. Ils passent leur temps à éprouver les limites de l'autorité, les limites de l'espace, les limites de ce qu 'ils sont physiquement intellectuellement capable de faire. En grandissant c'est la société et c'est l'école, c'est les constitutions qui vont définir les limites mais je pense qu'il faut maintenir cette plasticité et pousser certaines frontières prédéterminées qui en fait n'existe pas comme ça.




O:Parlons de sommeil : Dormir, c’est l’état physiologique périodique de l'organisme (notamment du système nerveux) pendant lequel la vigilance est suspendue et la réactivité aux stimulations amoindrie - à part de cette définition, nous connaissons surtout les effets réparateur du sommeil mais encore plus les effets nocifs pour notre organisme quand nous dormons pas assez. Avec "once upon a dream" vous avez imaginé un espace dédié au sommeil afin d’aider les insomniaques à bien dormir : Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet et de comment vous approchez les problématiques liées au sommeil?


L: C’est une collaboration avec Veuve Clicquot maison de champagne. Ils ont depuis plusieurs années maintenant un hôtel près de Reims qui n’est pas ouvert au grand public, c'est un hôtel pour inviter leur clientèle prestigieux, des VIP, des ambassadeurs... Ils ont refait entièrement l'hôtel en faisant appel à des décorateurs et des architectes, c'est joli comme tout et ils m’ont contactés pour dessiner une chambre.


Donc je vais voir sur place et puis j'interroge le maître d'hôtel pour savoir qui vient ici, pour combien de temps qu'est-ce qui se passe. Il m’explique qu’il faut imaginer que Kanye West qui travaille avec eux sur la communication va venir, il arrive un soir, ils font un meeting dans la salle de dîner de l'hôtel et puis il dort une nuit à l'hôtel parce qu'il est tard et puis le lendemain il repart à Los Angeles. Du coup la décoration de la chambre, la couleur des rideaux, le design du fauteuil où moelleux de la moquette franchement on s'en fout parce que le client va s'en foutre. Après son meeting il est crevé, il est complètement en décalage horaire et c'est pas sur la décoration que ça va jouer. Je leur ai dit que je ne vais pas m'occuper de la chambre, ça ne m'intéresse pas. Vous ferez ce que vous voulez sur les murs les rideaux et les le sol mais je vais travailler sur le lit parce qu'en fait c'est là que ça va se passer et la promesse qu'on va faire n'est pas celle de la plus belle chambre de France mais de la plus belle nuit en termes de confort évidemment mais aussi dans la rapidité de s'endormir et puis dans la capacité de rester endormi.


Je me suis rapproché des spécialiste du sommeil qui travaillent sur l’apnée du sommeil, les insomnies chroniques, qui connaissent les causes et les symptômes, pour essayer de comprendre quels étaient les paramètres. L’objectif pour moi à la fin c'était de proposer à Kanye West ou quelqu'un d'autre un sentiment de waouh j'ai passé une nuit hallucinante. Je ne voulais pas qu’ils disent le matin au petit-déjeuner “j'adore la couleur des rideaux" mais “j'ai passé une nuit incroyable, j’ai rarement aussi bien dormi”.


Donc l'objectif n'était pas d'apporter une réponse pour les insomniaques, c’est d'apporter une réponse qui utilise la connaissance autour de la médecine du sommeil. En interrogeant les experts sont apparus trois paramètres - qui sont ceux utilisés dans les cliniques - et qui sont la gestion de la lumière, la gestion du son, la gestion de la température : Il faut que ça diminue lentement. Ils utilisent différentes techniques ou technologie ou système mais ce qui était intéressant aussi pour moi c'était ne me rends compte que tout ce qui me décrivait la n'était rien d'autre qu'une un coucher de soleil, qui n'était rien d'autre qu'une fin de journée. C'est-à-dire que à l'état primitif c’est qu'est-ce qui se passe en fin de journée Le soleil se couche, donc évidemment la lumière diminue, de fait la température diminue aussi et parce qu' on est paramétré pour ça l'activité commence à se calmer et naturellement le bruit diminue.


Donc c'était assez intéressant de se rendre compte que finalement toutes les recherches arrivait à cet état un peu basique primitif de la gestion de tous ces paramètres dans un monde qui s'est coupé de ses éléments. Quand le soleil se couche aujourd'hui c'est pas un problème car j'allume la lumière ; quand la température extérieure baisse je monte mon chauffage et lorsque le soir le son diminue et j'ai pas envie de dormir je mets de la musique. L’être humain veut être plus fort que la nature : quand le soleil se couche je crée un soleil, quand la température baisse je crée de la chaleur et quand le son baisse je crée du bruit.


Le projet visait à réintroduire ces éléments primaires primitive absolument géophysique de cette planète et au moment où je décide de rentrer dans le sommeil je déclenche le programme non pas en appuyant sur un bouton. Je voulais que c'est une chose plus souple plus, plastique. J'avais installé une vraie plante connectée avec des feuilles réactives et donc juste en caressant les feuilles ça a déclenché la séquence Donc Kanye West se couche après ce dîner qui était en plus un peu pénible, il touche la plante à proximité et le rideau se ferme lentement. Il est couché horizontalement, il a des yeux vers le plafond et il regarde une dalle lumineuse et qui sur une séquence de 15 à 20 minutes va lentement diminuer. En parallèle, la température est aussi gérée pour diminuer lentement. La lumière et la température sont des stimuli pour le corps afin de le reconnecter finalement à cet état primitif que j'évoquais. Donc avec ce paramètres, dans une séquence de 15 minutes votre corps commence à lâcher, à accepter cette baisse de vigilance.



O:Les objets numériques sont aujourd’hui considérés comme des outils incontournables qui nous accompagnent dans tous les moments de la vie, afin de la nous simplifier et optimiser à la fois. En même temps, l'invasion des objets connectés dans nos quotidiens est une véritable source perturbatrice pour notre bien-être. Comment abordez-vous la technologie dans vos projets tels que “White noise” ou encore “Daylight transmitter” ?


L: La technologie je l'utilise comme un outil comme un matériau comme le bois ou métal et en étant toujours le plus vigilant possible sur le fait que la technologie n'impressionne plus personne. C’était le cas il y a quelques années encore avant qu'elle soit aussi présente dans notre quotidien. Elle est un outil diablement efficace mais il ne faut jamais que le projet soit une sorte d' hommage ou de célébration de la technologie. Ça fait rêver les designers et les geeks mais c'est les seuls. Pour le reste de monde c’est de donner une bonne raison de l'utiliser et de rassurer sur le fait qu’ils gardent le contrôle. C’est encore plus vrai pour la technologie liée au sommeil parce-que c'est un moment où j'accepte d'être plus vulnérable et où je donne les clés de mon conscient avec mon inconscient à un système que je ne maîtrise pas et que je ne contrôle pas.


Dans mes projets, la technologie est intégrée et disparaît au maximum. En tant que concepteur, je peux avoir conscience de la complexité et de l'effort nécessaires pour la mettre au point, mais l'utilisateur s'en fout. Je veille à ce qu'il ne se pose pas la question de la technologie. Lorsque nous parlons du projet “Tomorrow is another day”, qui est un objet connecté dans l'hôpital, c'est un objet technique avec une technologie assez complexe à mettre en place. Il recueille des informations en temps réel de tous les sites mondiaux, les compile, et déclenche non pas des vidéos, mais recrée une animation algorithmique en permanence à partir de toutes ces données. Cependant, du point de vue de l'utilisateur - qui est un patient et qui va mourir dans quelques jours ou quelques semaines - et du point de vue de ses enfants, de sa femme ou de ses amis qui vont entrer dans sa chambre, la technologie n'est absolument pas leur sujet. Elle doit totalement disparaître et permettre, mais en aucun cas être un sujet. On ne nous a jamais parlé de technologie dans ce projet. Ce n'est pas le sujet. Le sujet, c'est un patient qui est à la fin de sa vie, dans la pensée, la spiritualité, la méditation, l'au-delà, religieux ou non. Cela devient pour moi un vrai sujet - proposer un ciel qui a du sens par rapport à cela et lui offrir la possibilité de se reconnecter physiquement.



O:Aujourd’hui nous avons l’impression que l’usage de la technologie est dans une quête de performance qui cherche à tout prix le succès commercial.


L: Est-ce que ça marche à la fin ? Concrètement ça ne marche pas.


La en se parle en visio. Les systèmes de visio sont prêts depuis à peu près 35 ou 40 ans. Il a fallu que le monde professionnel en ai besoin pour des contraintes de déplacement, de temps, d'empreinte écologique, de pandémie, peu importe la raison, mais il a fallu qu'ils aient une bonne raison pour se mettre et pour que la technologie soit emparé. Quand dans les années 80 on parlait à toutes ces marques qui ont proposé cette même technologie, voir l’interlocuteur n'intéressait personne. La rupture dans ce type de produit ça ne fonctionne jamais, il faut qu’il y ait une réelle nécessité. Pour Apple cela a fonctionné parce-qu'ils ont tout fait pour éviter la rupture.


Dans le monde du sommeil, nous avons vu apparaître des casques et toutes sortes de gadgets. Mais le sommeil reste une zone de liberté, de fragilité, et une zone d'intimité. Les promesses très rationnelles et médicales, de proposer des données qui sont éminemment complexes et brillantes en termes de développement technologique, je ne crois pas que ce soit une approche pertinente d'y ajouter un objet high-tech. Ce qui est intéressant, ce n'est jamais l'objet qu'on propose, c’est ce qu'on arrive à créer, comme énergie magnétique électrique relationnelle entre cette chose et vous, c'est l'entre-deux qu'il faut dessiner.


Pour le projet “white noise”, c'est un son particulier, on lui prête presque des pouvoirs, c'est même un son qui est utilisé par certaines sectes pour se mettre dans des états méditatifs. On sent intuitivement que c'est un son qui a un pouvoir que je ne maîtrise pas. Quand j'ai commencé ce projet, beaucoup de gens m'ont dit : “Mais t'embête pas. Tu mets des enceintes”. Si je faisais ça, fonctionnellement je pourrais apporter une réponse, sauf que je perdrais le contrôle. C'est l'une des raisons pour lesquelles volontairement j'en ai fait une petite chose appréhendable, grosse comme un ballon que je vois bouger, que je vois se déplacer. Du coup, elle envoie sa fonction, mais je sais que je garde le contrôle, en tout cas, je donne le sentiment à l'utilisateur qu'il garde le contrôle. Et si la personne sait qu'elle garde le contrôle, elle est finalement beaucoup plus ouverte à accueillir de la nouveauté. Il faut créer des sortes de frontières visibles ou non pour laisser la possibilité aux gens d'avoir le contrôle.



O:Dans votre approche vers la création y'a t-il eu un changement dans les proportions dont vous vous servez de la technologie, la science, la nature et l’ artisanat comme outil ?


L: Oui forcément ça a évolué, mais ce qu'il y a sans doute le plus évolué c'est une compréhension plus fine de la complexité de l'être humain. Il y a quelques années effectivement j'avais quand même en moi le sentiment que la technologie pouvait apporter beaucoup de réponses et de solutions et que la justification scientifique était suffisante. J'en suis un peu revenu, en tout cas je l'ai mis un peu de côté pour investiguer d'autres champs. Dans les 10 prochaines années de rassembler ces choses-là mais on a quand même Aujourd'hui depuis le temps qu'on est sorti de la caverne, on a suffisamment d’exemple de l'histoire où on était fasciné par une innovation, par une technologie et dont on voit très vite la capacité à ce qu'elle devienne twisté, distordu, dangereux, effrayante... Il faut qu'on utilise toute cette connaissance là pour être beaucoup plus fine. On ne peut pas faire comme si rien n'avait été fait avant chaque chose que vous allez poser aujourd'hui ou proposer aujourd'hui existe au-delà de ce qu’elle est.. Vous ne pourrez pas maîtriser tout le background culturel qui va se mélanger à ce que vous proposez de la personne qui va voir votre objet, qui va l'utiliser. Tout ce que vous proposez va passer par ce filtre culturel.


Et plus le temps passe plus ça devient très compliqué de de poser ou de proposer une chose parce que elle se mélangent continuellement c'est comme si tu tu tu amené un nouveau plat nouvel aliment mais que tu dois forcément mélanger à l'assiette du nourriture qui est déjà là donc on rêverait victime en d'enlever toute la nourriture et amener juste son plat parfait ça ça existe dans les restaurants mais dans la vraie vie ça existe pas.



O:Vous avez mentionné plusieurs fois l'intuition. Pour chaque projet c’est donc la première chose que vous pensez mais également comment intégrer la notion de l'intuition dans l’interaction que vous proposez.


L: C’est vrai. Une vie ne suffira pas pour maîtriser toute la culture, toute l'histoire, toute la psychologie, ... donc je suis obligé de faire avec l'intuition, c'est d'accepter de perdre un peu le contrôle et de faire passer ses idées par tous ces filtres, que moi, mais comme vous, on a déjà intégré et c'est d'accepter de laisser travailler un peu son cerveau sans vous.


C'est une chose que je fais beaucoup - et ça rejoint un peu le sommeil - c'est d'accepter d'envoyer des débuts d'idées, d'impulsion, de stimuli visuels au cerveau et de laisser le cerveau faire le job.



O:Les rêves et le sommeil sont-ils également des outils dans votre pratique ?


L: Pour moi c'est une des grandes forces du sommeil. Le sommeil m'intéresse non pas comme une sinusoïde, comme un sommeil profond, un sommeil paradoxal ou encore des modifications du rythme cardiaque - aujourd'hui ce qui m'intéresse c’est la capacité du cerveau de jouer en continuellement avec des éléments et de les associer là ou ils n’était absolument pas associable consciemment, ni techniquement ni intellectuellement. Et le cerveau, comme un enfant qui prend des choses, prend cette liberté-là mais toujours avec une idée derrière la tête. Il fait des associations de sens et de formes et j'arrive à retrouver qu'elle a été l'impulsion derrière mais je ne l'aurais jamais fait consciemment. Le sommeil est passionnant. Le cerveau est passionnant.


En étant éveillé j’essaie d'accepter que je perds le contrôle, accepter que c'est pas moi qui consciemment de façon laborieuse prends mon crayon et pose mon idée et grave mon idée, mais on envoie un peu de matière au cerveau et on le laisse jouer. Il faut apprendre à lui faire confiance et puis il va envoyer des choses intéressantes. Parfois on met un peu de temps à voir l'intérêt qu'on peut y trouver mais on le comprend plus tard. C'est pour moi une des grandes forces du sommeil et j'essaie de l'utiliser en état aussi un peu conscience sans faire de la méditation- mais d’une manière très quotidienne.




O:Vous avez un studio à Paris, la galerie “pied à terre” à New York. J’imagine que vous êtes souvent en déplacement. Comment dormez-vous ?


L: De manière générale je suis quelqu'un qui s'endort en 3 minutes 2 minutes et demi. J'ai découvert que c'est la fatigue intellectuelle - je ne suis pas hyper sportif donc j'éprouve rarement une grande fatigue physique - qui m’aide le plus à m’endormir. Des journées où j'ai plus cherché que d'autres je suis complètement rincé et là je vais m'endormir en 30 secondes. C’est sentir cette fatigue du cerveau qui irradie sur l'ensemble du corps. Le cerveau me dit : moi je suis rincé et maintenant tu me laisses tranquille et je vais jouer avec tout ça. C’est assez agréable.


O:Quel rêve vous reste à réaliser ?


L: Je ne me suis jamais fait une liste de rêve je crois que j'en ai pas vraiment. La seule chose à laquelle je suis toujours vigilant et auquel je pense un jour sur deux, c’est de me dire à mes derniers jours, quand je serai au service de soins palliatifs, j'ai fait ce que j'avais à faire et qu’il y a pas de choses que j'aurais voulu faire, mais je les ai pas fait parce que j'ai eu peur de les faire. J'ai pas d'objectif conscient de réussite de richesse, d'accession, d'un projet que je voudrais faire, un client que je voudrais avoir..


O:C’est très cohérent avec votre approche finalement : prendre un peu de contrôle mais de le lâcher également.


L: C’est très juste. Je suis un mec très cohérent (en rigolant).




Crédits photo:Thomas Chéné, Felipe Ribon

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